Un concentré de re-créations sur les Hommes, ce qui les relie entre eux, et à la Nature.
Hier soir avec mon amie la fée, B., nous nous sommes retrouvées. Nous avons évoqué les vacances, et des projets de sorties, entre autres. Nous étions au Harry’s Bar, un cocktail pour l’une, un Inchgower 12 ans pour l’autre, et des macarons de chez Ladurée choisis par B. (rose, cassis, réglisse). Un régal, et bien vite, on s’est mises à rigoler, c’était une évidence, nous serions « paf » à l’Opéra Garnier, et toutes sucrées, car il fallait bien fêter nos retrouvailles. Peut-être avions-nous pressenti que la secousse, sous la coupole de Chagall, serait tellurique ? L’alcool aiderait à supporter ce moment « trop humain », pour être regardé de face, sans vitamines !
Bien placées à l’orchestre, 4 oeuvres de danse contemporaine au programme, les 2 dernières étaient des créations mondiales : « In creases » de Justin Peck (musique Philip Glass), « Blake works I » de William Forsythe (musique James Blake), « The season’s canon » de Crystal Pite (musique Max Richter) et « sans titre » de Tino Sehgal (musique Ari Benjamin Meyers).
Les deux premières oeuvres nous ont confirmé que la soirée serait un enchantement. Ces pièces étaient de facture classique, pour de la danse contemporaine. Rien à dire. Les danseurs étaient parfaits. Puis ce fut l’entracte. Nous avions la banane.
Démarre « The season’s canon » et nous avons changé de dimension. Tout d’abord, la musique. Crystal Pite, la chorégraphe, a choisi l’oeuvre des 4 saisons de Vivaldi revisitée par Max Richer, un compositeur allemand, post minimaliste qui a re-créé 75% de la partition. Courez vous procurer l’album paru chez DG en 2012, c’est osé mais juste génial. Vivaldi, le prêtre roux, s’il avait vécu au 21ème siècle, n’aurait pas renié cette mise à nue de sa partition. Cette version, est à la fois allégée du concentré de notes de Vivaldi, et enrichie d’une palette de couleurs sonores d’aujourd’hui, elle résonne résolument comme un pont entre la Venise du 17ème et notre monde contemporain. Je vous la recommande à dose homéopathique. Pas de meilleur médicament pour l’âme.
La chorégraphe Crystal Pite a été formée et influencée par William Forsythe, et son ballet de Francfort. Elle a dit ceci « pour moi, créer c’est comme regarder à travers une loupe, une opportunité de voir le monde avec davantage de détails et de clarté ; c’est une expérience de l’agrandissement, de l’exhaustivité et de l’abondance. J’utilise la chorégraphie – l’acte de créer quelque chose – pour me confronter au sens même de ce qu’est la création. C’est la construction, le façonnage, l’entrechoquement, le montage, la composition, l’assemblage et l’excavation que je retrouve quand je chorégraphie, l’acte même de fabriquer, qui me relie le plus profondément au monde naturel, à la brutalité et à la beauté qu’il contient. Cette pièce est un geste, une offrande. C’est autant ma manière de faire face à l’immensité et à la complexité du monde naturel qu’une manière de lui exprimer ma gratitude. »
A propos de la musique de Richer elle écrit « La partition contient une tension entre simplicité et complexité, entre des espaces vastes et vertigineux et de minuscules densités. A travers le corps humain, j’essaie de rendre cette musique visible. Et pour moi, les structures et états qui découlent de ce corps évoquent des phénomènes naturels : germinations, migrations, mutations, transformations, et la lutte pour la domination et la survie au sein du monde naturel. »
La scénographie s’appuyait sur des vidéos dépouillées. Les images étaient abstraites, et sobres, des couleurs décolorées et mélangées, pleines de nuances. Nous sommes partis du gris noir, de l’image post apocalyptique du monde pour aller vers une vision solaire, orange, flamboyante de la renaissance du monde.
Le buste des danseurs et des danseuses était nu, ils portaient un pantalon avec des pans de tissus larges, dans les tons de kaki.
Les tableaux du ballet de l’Opéra de Paris décrivaient des masses humaines, reliées, formant des touts qui s’agrégeaient, se mélangeaient et se décomposaient. Régulièrement, ils ondulaient d’un côté vers un autre. Ou ils formaient une ligne droite et de manière synchrone ou asynchrone, leurs bras esquissaient des cercles. La coordination était extraordinaire. Les effets produits par les corps des danseurs étaient tellement forts qu’on était dedans, dans cet ensemble grégaire, au milieu de ces Hommes reliés entre eux. Des êtres tentaient de s’individualiser, puis étaient happés par la masse. Rien n’était mécanique, les pas, les mouvements, de chaque danseur (ils étaient une cinquantaine) nous renvoyaient face 1ère, dans la vie, la création, la nature, l’instant, sa mobilité permanente et son impermanence aussi. La gestuelle était d’une extrême netteté, d’une telle précision que tout en nous semblait bouger et inter-agir.
Cette chorégraphe nous a donné à voir, écouter, imaginer, ressentir, un concentré de créations, sa représentation sur le devenir des Hommes, de la société humaine face à la Nature. C’est un pari fou que de s’y essayer, de prétendre pouvoir aligner sur une scène, un tel spectacle, sur la complexité et la simplicité de la vie terrestre. Je surfe sur une pensée flottante, car ce spectacle nous a trimballé de l’infini grand à l’infiniment petit, et ce fut un moment rare, privilégié. D’ailleurs, le corps a dû mal à digérer ce qui l’a remué, tendu, relâché, emporté, bousculé, émerveillé. C’est comparable à l’effet d’un raz de marée, un bloc géant d’émotions et d’intelligence, qui assomme, ça c’est pour la vision champ large, macro, et à la sensation de perles de pluie fines, légères, mais profondes, à la distillation d’idées et des sens, ça c’est pour la vision microscopique, au scalpel.
J’espère vous avoir donné envie d’aller voir ce ballet. Sur YouTube, vous trouverez des extraits, en attendant qu’il passe près de chez vous. Et surtout, j’ai un rêve, que cette re-création du monde soit projetée dans le ciel, et que tous les Hommes puissent la vivre un jour, sur terre.
En étudiant les étoiles, en comprenant l’espace temps et la gravitation, c’est à dire le mouvement, je crois que la danse, que toute civilisation exprime, vient de la naissance du monde, du big bang.
De la même façon que nous avons tous, en nous, des particules de la génèse de l’univers nous portons les rythmes de son expansion.
La danse, vibration du corps, expression des mystères vient des ondes gravitationnelles.
Il ne peut que d’une affirmation du poète et pas du scientifique.
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