Chers amis, citoyens du monde, animaux à plumes de tous poils, je me questionnais vers 11h ce matin en attendant le début du 2ème concert « panorama » de Bertrand Chamayou au TCE (disponible sur France Musique). Peut-on voir la Musique ? Messaien voyait une myriade de couleurs derrière les notes tels des vitraux faisant surgir la lumière d’on ne se sait où.
Et quand je lis le roman de Joël Dicker « la vérité sur l’affaire Harry Quebert » qu’est-ce je vois ? Une construction savante, une mise en abyme du métier d’écrivain, un dosage habile entre la forme polar, l’enquête qui est extérieure à celui qui la conduit, et la recherche de soi, la propre investigation intérieure de l’auteur/du lecteur, qui questionne sa vérité, et qui apprend à se connaître à travers sa vision du monde, des autres, de leurs choix de vie et en particulier ceux de son meilleur ami Harry, son mentor. Car on ne naît pas écrivain, on le devient, tout comme on ne naît pas soi, on le devient. On investigue toute sa vie pour chercher à savoir qui on est et c’est une drôle d’enquête…qui ôte des plumes et qui renforce le regard, l’acuité visuelle.
Ce qui nous fait être soi, en harmonie, ou en décalage, avec nous-mêmes et ou le monde c’est ce mouvement perpétuel, jamais le même, entre les éléments organiques, vitaux de son corps qui y ont élu domicile et les éléments sensuels émotionnels qui le transpercent, le régénèrent, le transforment, le bousculent, en passant par notre être intellectuel, qui se développe avec les âges et qui pense plus ou moins de manière organique ou émotionnel suivant les appétits, les circonstances et là où on en est sur le chemin.
Mon ami l’oiseau, sur la photo en tête de l’article, a accepté de poser de profil et que je le croque avec un crayon imaginaire (en réalité c’est un auteur de BD de Drawn and Quarterly qui l’a dessiné). Sans ses plumes, il semble autrement visible. Toutefois, si on mesure bien l’organique au 1er regard, l’émotionnel et l’irrationnel, on ne les reconstitue que par association d’idées, grâce à des zones du cerveau qui dépassent le visible et la logique de l’apparence. À partir de ce dessin qui ressemble à un écorché, mon œil tire des couches, des strates. Et en écrivant, je carotte des profondeurs un substrat, qui n’appartient qu’à moi, une vision différente qui recompose l’animal en un « véritable » volatile sous toutes ses dimensions.
C’est une chance que d’avoir des yeux, ces yeux-là, ceux qui voient au-delà du fonctionnel ceux qui déstructurent pour mieux comprendre et recomposer l’image à sa manière. S’approprier l’éphémère, l’invisible…l’essence du sens de la vie qui n’en a, qu’au moment où on voudrait la saisir, et puis, pschitt.
Je pense souvent, avec joie, à Homère et Jacqueline de Romilly, qui ont continué à voir loin, toute leur vie, même aveugles, et à faire parler les mythes depuis le 8eme s avant JC jusqu’au 21eme Siècle pour mieux éclairer l’Histoire de l’Humanité.
Ouvrez vos yeux, le petit oiseau va s’envoler, sans plume (mais plein de poils) et continuer de vous raconter ce qui fait sens ou pas sur son chemin, loin des gros oiseaux qui filent dans les airs ou sur terre.
Antigone is definitly gone et son œil vous dit « hello, de l’intérieur ».