Après avoir beaucoup marché du Nord au Sud et d’Est en Ouest, pour quadriller le territoire, cerner l’inconnu, je me rapproche enfin de mon espace vital, d’une forme familière, je peux en faire le tour, l’embrasser, le regarder de près ou de loin, y retourner.
J’économise mes pas, soit je longe le Huangpu pour prendre le frais et regarder les cargos s’émousser devant des barges voire me laisser émoustiller par des tours célestes reflétant le gris azur d’un ciel orageux en fin d’après-midi soit je m’allonge dans ma baignoire piquée par le sel ou un de mes lits couvert de draps blancs lumineux.
Je lis, je rêve, je lis mes rêves, je rêve d’autres lits.
J’alterne entre, l’ici là maintenant dans le confort, écoutant par terre sur un tapis contemporain, les partitas de Bach dans l’interprétation de Walter Gieseking, et le là-bas dans les petites rues, à deux encablures derrière les beaux immeubles, croisant d’autres regards d’une société culturelle multi séculaires en train de disparaître.
J’ai froid, la clim est trop forte, je l’éteins avant de me fondre dans la moiteur extérieure. Quand je sillonne les petites rues parsemées de shikumen, je croise un salon de coiffure et à l’extérieur une femme qui cuisine peut-être pour la famille ou des clients voisins. Puis, j’observe un vieux élégant qui traverse la rue, branlant, s’appuyant sur une canne en bois comme celle que taillait mon grand-père. Plus loin des jeunes consultent leur smartphone appuyés au mur et un autre fait la sieste, seul, sur une chaise. Et sur le trottoir, des rouleaux de tissus à même le sol se tiennent sagement, dans l’attente de la découpe d’un homme dont c’est le métier.
Je photographie moins, je sens que ces instants de découverte sont rares. J’ouvre les yeux grands et le nerf optique colore les images. C’est le printemps aussi à Shanghai, les fleurs parlent aux fleurs, et le bitume n’est pas en reste.
ANTIGONE GONE 