« Asie, Asie, Asie, vieux pays merveilleux des contes de nourrice… » ainsi commence le poème de Tristan Klingsor qui a été écrit en 1903 et mis en musique par Ravel, ouvrant sa trilogie Shéhérazade. Souvent, je fredonne cette mélodie française, et j’entends alors une autre voix que la mienne, celle de Régine Crespin sous la baguette d’Ernest Ansermet. Et, puis, je pars, en Asie, magnétisée.
Je choisis une embarcation en carton pâte, des rames en balsa et je remonte la Seine. Au dessus du port du Havre, je suis aspirée par un mouvement d’air, je monte sur les nuages, grâce à une corde à nœuds tombée du ciel, et je me laisse pincer les fesses par le bec d’un oiseau nocturne qui me prend sous son aile. Histoire de fermer les yeux, le temps d’un vol de nuit, j’imagine St Exupéry à l’époque de l’Aéropostale, alors qu’il survolait les Andes et qu’il s’est perdu.
Fermer les yeux, pour mieux les réouvrir ensuite et m’émerveiller comme dans les contes d’enfants.
Asie mutée, ou mutante, je ne sais ce qui m’attire. La diversité des cultures (52 pays ou territoires et plus de 2000 langues différentes), leur éloignement à la mienne, leur développement phénomènal, il suffit de regarder leur démographie (60% des 7,6 milliards habitants sur 29% de la surface des terres) même si elle est très disparate et inquiétante au Japon et en Chine malgré leur PIB extraordinaire.
En vérité je n’ai pas la clé, l’explication rationnelle m’échappe. En Asie, ce que je ressens… je suis saisie, je me déride, je me fonds dans les territoires et près de populations, des êtres humains que je ne comprends pas, parce que c’est logique que l’on ne se comprenne pas. Et pourtant, je ne m’y sens pas étrangère ni seule. Je deviens asiatique comme si je l’avais toujours été.
La nourriture y est autrement plus terrestre. Tout n’y est pas que riz et pourtant le riz est au centre de tout. J’ai entendu qu’au Vietnam dans le delta du Mekong, l’eau, du fait du réchauffement de la planète, devenait trop saline, alors ils sont en train de remplacer les plantations de riz par de l’élevage de crevettes.
Le sourire s’entend en Asie, il est comme un vent léger toujours présent, une vision fantomatique de la pudeur des sentiments.
Je suis Asie mutée et ris au-dedans, en chantant « Asie Asie Asie, vieux pays merveilleux des contes de nourrice… »