
Nous étions cinq, tels les cinq doigts de la main, articulés, ensemble, tour à tour, par deux, par trois et tellement plus encore, au fil des ans.
Cette formation impaire, après notre passage à la vie d’adulte indépendant, s’est cristallisée au fond de chacun de nous et entre nous. Lorsque nous nous retrouvions aux grandes occasions, les signes de notre dépendance n’étaient pas visibles à l’oeil nu, aucun mot aucun geste, un regard pétillant ou humide, pour qui savait voir et regarder autrement.
L’annulaire, le 4ème de la famille, l’éternel grand petit frère se conduisait en aventurier, notre Samouraï avait la gagne. Beau, intelligent, insolent, doué, chiant. L’aîné de la fratrie, notre majeur s’était abîmé le 3eme doigt dans le moteur du tracteur de papa. Et moi, tenue par le petit doigt je marchais, car j’avais peur de tomber. Ainsi, s’était formée notre main.
Lorsque Robert Schumann a cherché à améliorer la souplesse de sa main, il a posé une attelle sur chacun de ses doigts pour les rendre indépendants. A force d’exercices, ses tendons ont cédé, il a perdu son 4ème doigt et l’usage de sa main. Il a dû arrêter de jouer du piano ce qui ne l’a pas empêché de composer des œuvres plus profondes et plus virtuoses.
Aujourd’hui, mon esprit tricote des pensées avec notre 4ème doigt omniprésent. La vie se recompose, et s’accroche, mon auriculaire dans une oreille, l’autre bercée par Schumann et les scènes d’enfants. Nous étions cinq, toi toujours prêt à en découdre. Je compte mes doigts, j’en ai six, ton annulaire toujours présent, qui me tient le petit doigt.
