Mono no aware et mu

Est-ce leur approche shintoïste du monde qui me fascine, me remue et m’apaise ? J’aime à me perdre et me retrouver au Japon car j’ai le sentiment que toutes les routes n’en forment qu’une seule. Je ne les connais pas et en même temps elles me sont familières. J’y pose les pieds, mes pensées s’en balancent, tout n’est que circulation, souffle, respiration. Dans les jardins, je me jette comme dans l’océan, après des heures d’errance sur le bitume. L’émotion relève du vertige. Au milieu de ces espaces infinis de verdure, entretenus par des mains gantées et immaculées, où l’herbe folle ne résiste pas à la pince à épiler, mes sourcils et mes poils aux pattes tremblent. J’avance, je me noie, je jubile.

Pour atteindre un autre état de sérénité, plus solide et liquide que vert ou gris, entre 2 paliers de décompression, je déguste un plat dans un Izakaya arrosé d’un verre de saké, et même si je ne sais pas l’expliquer, d’ailleurs je ne le cherche pas, c’est comme une évidence, oui, c’est ici que j’y suis. Le doute semble s’être évaporé, rangé avec mon mouchoir, dans des poches, il est ce proche qui me tient la main, sans me le dire. Quant à l’Amour, cette obsession dont je ne me départirai jamais, ma seule certitude, il est partout, il me perce, il me met en transe, il me transperce, je ne suis plus que ça. Je déambule de manière extatique, je ne sais plus où je suis ni qui je suis. J’avale le chemin, je ne suis plus que paysage, entre « mono no aware » et « mu ». Je vole, je suis ici ailleurs tout à la fois. Cet état de l’être n’est pas dicible, totalement inénarrable, pourtant j’essaie de le regarder en face, les yeux dans les yeux, par les mots, avec un scalpel de chirurgien, mais non, tout est si impalpable. Je pense alors aux absents, à ceux qui me portent et me supportent.

Bashõ sur le chemin de Sarashina écrit « la lumière de la lune se déversait à travers les feuilles et les fissures du mur dans un angle de la pièce. »

Le « mono no aware » signifie le caractère éphémère des choses, de la vie, des hommes. L’impermanence est ancrée chez les Japonais, ils incarnent cette certitude là, qui ne ment pas, qui se rappelle à eux. Détruire les plus beaux palais impériaux et hôtels d’architectes mythiques, cela n’a pas d’importance, d’autres hommes après eux les reconstruiront.

Le « mu » tout aussi présent, est hérité du zen et pourrait être traduit par rien, infini, impossible, ni oui, ni non…Le kanji « mu » est gravé sur la tombe d’Ozu à Kamakura non loin de Tokyo. J’irai le saluer ainsi que Netsuko Hara son actrice fétiche qui a arrêté de jouer le jour où ce dernier a rejoint le « mu ».

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Voilà. Je ressens exactement la même chose au Japon. Tout coule, tout est simple, fluide. Purée. Exactement ça. Indicible, je comprends. Mais si bon à partager avec qui le ressent🙏🏻

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