Come kiss me know

Hier soir, je suis allée m’immerger dans un spectacle ovni, inclassable, qui m’a déplacée de mon centre de gravité.

C’était au Palais de Chaillot, l’auteur des 5 tableaux de « Come kiss me know », Alan Richard, directeur du centre chorégraphique  national de Caen, aime à mélanger les genres artistiques, la danse, les musiques, la littérature, ou la poésie.

J’étais assise tout près, car il nous a été demandé de nous resserrer au bord de la scène. Le décor, à gauche, une grande table ornementée d’une carafe de vin, de verres à pied, d’une corbeille de fruits et d’un crâne, une vanité qui nous rappelle que nous sommes peu de choses, et des lumières contemporaines, froides, de type néons, laissant la scène quasi vide, dans une atmosphère nocturne.

Ouverture, des femmes et des hommes festoient puis s’éloignent pour ne laisser que, Chihiro, danseuse solo du 1er tableau. Elle esquisse des mouvements d’une variété inouïe, relevant du mime humain ou d’un robot, flirtant tantôt avec la grâce, la joie, la folie, la mélancolie, la transe intérieure, impalpable, subtile, immensément resserrée sur l’instant, jusqu’ à l’explosion, le cri, l’insoutenabilité de l’être. En esquissant ses pas, son corps en contorsion se mouvait dans toutes les directions, extension, plis, replis, ronds, angles droits, et son souffle amplifié rendait le moment encore plus palpable, présent, vivant. A chaque respiration, j’y étais, je ressentais l’infiniment petit et l’infiniment grand, j’étais scotchée, happée, cette danseuse a tout pris de mon attention et de ma tension. Ce fut un moment de toute beauté, suspendu, rare.

Et, puis, a succédé le tableau baroque, associant une autre danseuse solo, qui évoluait de manière hiératique, reproduisant des danses de la cour d’un hypothétique 17ème siècle accompagnée d’un fantôme, ses bras l’enlaçant, de 3 violes de gambe de l’ensemble l’Achéron et de Céline Scheen soprano d’exception qui ont joué et chanté des lachrimae de Dowland à tomber.

De là, le chorégraphe a clamé des extraits d’ »Anatomie de la mélancolie » de Robert Burton, traité de référence et inclassable sur ce thème, écrit par un Anglais génial du 17ème siècle. Alan Richard bougeait, monté sur ressort, en duo avec Ezra un beatboxer génial, c’était complètement dingue et décalé, inattendu, improbable.

Puis, une violiste a récité des poèmes de Marie de Quatrebarbes éditée chez P.O.L. Fou fou, fou !

Enfin, le pompon de fin s’est confondu avec un melting pot muscial nostalgique, mêlant les violes, le beatboxer et la chanteuse lyrique autour d’un revival des tubes des années 80 avec Culture Club et Boy George, et « Do you really want to hurt me », OMD, Soft Cell « Tainted Love, Visage « Fade to Grey » ou Eurythmics avec « Here comes the rain again ». C’était délirant, admirable et jouissif. Les covers mériteraient d’être enregistrés, une seule envie, chanter, avec eux…mon corps remuait en toute indiscrétion !

Un grand moment de spectacle vivant qui casse les barrières entre les genres artistiques et les époques, et qui rend encore plus vivante et précieuse la vie, et celles et ceux qui la peuplent.

Après le spectacle, les organisateurs ont proposé à ceux qui le souhaitaient de rester dans la salle pour échanger avec l’auteur, Ezra, Céline et une violiste. Nous n’étions pas nombreux. Un moment savoureux qui nous a éclairés sur les intentions de ce créateur enthousiaste et enthousiasmant, que je découvrais suite à la lecture d’un article élogieux du journal La Terrasse, distribué il y a 3 semaines à l’entrée du même lieu alors que Takemehome était à l’affiche.

Chihiro

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