Pestacles qui claquent

Du « Barrage contre le Pacifique » interprété au studio Hébertot, à « Sisyphe » improvisé au théâtre des Bouffes du Nord, il n’y a qu’un pas, un saut, pour s’abandonner au pays de l’imaginaire, et dévisser sur le sentier de la création. Ces 2 voyages intérieurs furent saisissants, inclassables, et plus que beaux.

Anne Consigny incarne 4 personnages dans le « Barrage contre le Pacifique » adapté du roman de Marguerite Duras : la mère, ses enfants Joseph et Suzanne, et Monsieur Jo, riche planteur de caoutchouc, d’un âge certain, séduit transi par la beauté de la jeune Suzanne. Le jeu sera cruel, les enjeux  divergent, amour argent…et puis tout ne sera plus comme avant. L’atmosphère passe par les voix, le silence, et ses nuances. Le visage de l’actrice et son corps tout entier balancent de la joie à la colère en passant par la peur, l’incompréhension et la compassion. Elle tend le fil d’une histoire impossible qui se fracasse contre un trio familial solidaire et solitaire, comme le barrage contre le Pacifique. Sur scène, la présence de la comédienne nous conduit pendant une 1h30 au coeur de cette histoire sans perdre son souffle et nous avec. Son jeu est ENORME, pas d’autre choix que d’y aller, toute affaire cessante. L’actrice rayonne, ses yeux pétillent, il faut les voir, et surtout, elle assume cette liberté d’oser et savoir traverser le 4ème mur !

Un jour plus tard, j’avais rendez-vous avec Jean Rondeau, jeune claveciniste, au théâtre des Bouffes du Nord là où Anne Consigny a débuté, il y a plus de 40 ans, dans la troupe de Peter Brook. « Sisyphe » orne le programme… Le concert commence dans le noir, une note au clavecin s’échappe d’une corde pincée, puis se fond dans le silence, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’oeuvre se resserre autour de mélodies sonnantes voire fracassantes. La forme de l’improvisation au clavecin est assez courante sauf que là se mêlaient sur un flot continu de 80 min des oeuvres de Couperin et de Ligeti avec en final, une transposition de la Chaconne de Bach. Moment doux dingue, absolument hors norme et unique. Des spectateurs n’ont pas aimé, j’étais sur une autre planète, le shintoisme s’était invité, les 2 pieds enracinés dans le monde cosmique. J’ai vu le plus beau concert de ma vie. Il y aura 3 autres dates, les sessions ne seront pas enregistrées. L’éphémère a ceci de beau qu’il finit par s’ancrer, sans peser, ni empêcher d’avancer, il reste là, présent, en apesanteur, comme quand j’ai découvert Anne Consigny et Emmanuelle Riva jouant ensemble « Savanah Bay », il y a plus de 10 ans, au théâtre de l’Atelier sous la direction de Didier Bezace.

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